Les minutes s'écoulaient lentement, bien trop lentement même pour un cours qui devenait interminable. Les potions - ou plutôt potions et poisons - étaient d'un ennui mortel, d'autant plus lorsqu'on s'appelait Nathanaël Gemmell, que l'on possédait de nombreuses capacités d'acquisition et que ce n'était pas la première fois que l'on mettait en application la recette de la potion d'envoûtement. Oui, même les plus charmeurs se laissent tenter par la facilité, et utilisent les moyens les plus bas pour obtenir ce qu'ils souhaitent. Il n'avait pas été très fier du résultat - à savoir une demoiselle un peu trop pot de colle à son goût, bien que charmante - mais avait eu la preuve qu'il était capable de la réussir à la perfection et était donc l'un des premiers à terminer son travail, se retrouvant seul à attendre, en faisant semblant de parcourir le manuel de cours qu'il avait déjà lu un bon nombre de fois. La débauche de Nathanaël ne l'empêchait pourtant pas d'être un élève remarquable, mais ce n'était pas un désir de réussite qui le poussait dans cette voie, au contraire même, il se fichait des notes que lui attribuaient les professeurs, et dès qu'il avait l'occasion de sécher un cours, il se précipitait dessus. Ce qui intéressait le Serdaigle, c'était la connaissance, et ce désir incessant de tout savoir du monde, de repousser les limites de la réalité, de pouvoir expliquer les plus grands mystères de l'humanité. C'était ce qui l'avait attiré dans les drogues, cette sensation d'irréel, ces multiples questions qu'il avait été amené à se poser, se demandant si les substances illicites étaient à l'origine de la déformation de la réalité, ou si au contraire elles lui permettaient de la toucher. Ne pas avoir de réponse à cette question était à la fois frustrant et fascinant. Cependant, ces derniers temps, d'autres questions s'infiltraient dans l'esprit du jeune homme, ainsi que des sentiments qu'il devait affronter sans les comprendre. Des sentiments qui expliquaient pourquoi il jetait de nombreux coups d'oeil vers Lucy Whisperer, la demoiselle qui l'obsédait depuis quelques jours.

Cela va bientôt faire une semaine que j'ai froissé ses draps, que nous avons partagé cet intense moment, ces heures bien trop courtes passées ensemble, du bonheur à l'état pur. Mais nous n'avons pas eu l'occasion d'en discuter depuis, et d'ailleurs, si cela devait se produire, je ne saurais pas vraiment quoi lui dire. L'amour est un sentiment bien trop étrange et mystérieux pour que je puisse avec certitude dire que je le ressens, d'autant plus que Lucy n'est pas la seule fille qui me fait me sentir ainsi, apaisé et heureux, intouchable, indestructible. Mais je ne peux pas nier l'importance qu'elle a pour moi, et j'ai besoin de la serrer dans mes bras, de l'embrasser, de lui murmurer au creux de l'oreille que je veux qu'elle soit mienne à jamais. Un tel romantisme venant de moi est inhabituel, et je trouve qu'il sonne faux, même si ce n'est pas le cas. J'ai en tout cas bien de la chance que personne ne puisse lire dans mes pensées, que personne ne puisse voir les niaiseries qui me traversent l'esprit, et cette envie de traverser la classe juste pour déposer un baiser sur les lèvres de Whisperer. Une semaine est un laps de temps bien trop long pour se priver d'elle, et même si je n'ai pas passé toutes mes nuits seul, je dois bien avouer qu'aucune d'entre elles n'avaient la même saveur que lorsque j'étais accompagné par ma Serdaigle. Je la ferai souffrir si je m'attache à elle, c'est indéniable, et je souffrirai avec elle, mais si cela signifie que je peux également toucher un bonheur illusoire du bout des doigts, je refuse de m'en priver.

Le jeune homme ferma soudainement son livre de potions avant de sortir un morceau de parchemin de son sac, après avoir vérifié que le professeur ne prêtait aucune attention à ses faits et gestes. Il fallut quelques minutes de concentration à Nathanaël avant de se souvenir de méthodes d'origami qu'il avait acquises dans un ouvrage moldu quand il était plus jeune. Le Serdaigle s'appliqua afin de donner une forme d'oiseau au morceau de papier sur lequel il inscrivit à l'encre noire "Suis-moi", puis l'ensorcela, de manière à ce qu'il puisse voler et retrouver Gemmell où qu'il soit. Une fois que le professeur eut annoncé la fin du cours, Nathanaël rassembla ses affaires et quitta la salle, en prenant soin de déposer l'oiseau sur le bureau de Lucy tout en lui adressant un regard amusé. Les deux adolescents ne pouvaient pas se voir en public, comme l'aurait fait n'importe quel couple, car les élèves étaient persuadés qu'ils se détestaient, et Nate se refusait de montrer que les choses avaient évolué avec la jeune femme. Une dizaine de minutes plus tard, il trouva l'endroit parfait pour un "rendez-vous", une salle de classe vide et qui semblait abandonnée, au premier étage. Il s'adossa à un mur, non loin de la porte, et attendit patiemment que l'oiseau de papier pénètre dans la salle et vienne se poser sur sa main. Un demi-sourire dessiné sur son visage, le Serdaigle observa sa camarade qui entra à son tour dans la pièce.

Nate - J'ai l'impression d'avoir attendu ce moment pendant une éternité.

Nathanaël plia l'oiseau en papier, le rangea dans sa poche, puis il s'approcha lentement de sa camarade, plongeant son regard dans le sien, comme il avait pu le faire une semaine plus tôt. Même s'il avait pu la côtoyer dans leur dortoir commun durant ces derniers jours, elle lui avait manqué, énormément. Il aurait tant aimé la serrer dans ses bras, l'embrasser, mais il y avait toujours Lisbeth ou Eliana qui trainaient dans le coin, et l'empêchait d'agir comme il l'aurait souhaité. C'était tellement stupide de vouloir donner une certaine image de lui aux autres, mais il ne pouvait s'en empêcher, ne pouvait changer du jour au lendemain. Il lui avait fallu cinq ans pour se bâtir une réputation, il ne pouvait prendre le risque de tout chambouler du jour au lendemain en s'affichant au bras de celle avec qui les joutes verbales étaient un passe-temps habituel. Mais maintenant qu'ils se retrouvaient seuls, les choses pouvaient enfin prendre une tournure toute autre. Gemmell déposa un baiser sur le coin de lèvres de Lucy, puis il murmura à son oreille.

Nate - Tu devrais partir tant qu'il en est encore temps.

Fuis tant que tu le peux, tant que je t'en laisse l'occasion, car il sera bientôt trop tard pour faire machine arrière, et une fois que tu seras mienne, tu seras condamnée à souffrir. Je ne suis pas le chevalier servant dont rêvent les femmes, je ne suis pas cette image que je donne, celle du parfait gentleman. Au fond, je ne suis qu'un déchet de l'humanité, un jeune homme que la vie a détruit, et qui détruit à son tour tous ceux qui croisent son chemin. Je t'aime, ce qui signifie que tu souffriras par ma faute, je ne parviendrai jamais à te rendre heureuse, et je ne serai jamais entièrement heureux. J'aimerais que tu partes, que tu t'en ailles dès à présent, que tu tournes la page, même si je sais que cela me rendrait malheureux, que cela me détruirait, je le souhaite car je sais qu'au moins tu serais préservée. En suivant l'oiseau de papier, tu as pénétré sur mon territoire, et c'est un danger que tu ne mesures sans doute pas. Je suis Hadès et tu deviendras Perséphone si tu ne fuis pas dès à présent. Ce ne serait que folie d'accepter les pépins de grenade que je t'offre, mais j'espère que tu les prendras, car il n'y a rien, en cet instant présent, que je souhaite plus que de t'embrasser.