Liliane était profondément endormie, blottie dans sa couette épaisse et moelleuse. De doux rêves la faisaient sourire, les rais de lumière provenant des rideaux à peine entrouverts faisant luire sa longue chevelure brune, ébouriffée par le sommeil. Trahissant son hyperactivité habituelle, elle ne cessait de se retourner et de s’enfouir un peu plus au fond de son lit. En effet, la jeune Française avait une sorte de manie. Elle était incapable de rester plus de cinq minutes dans un même endroit, si elle n’y faisait rien, elle avait constamment l’envie, non, le besoin de bouger. Peut-être était-ce pour cette raison précise que son but dans la vie était de faire le tour du monde. Elle avait déjà énormément voyagé avec son père, même si c’étaient des voyages d’affaire. En tout cas, elle avait d’ores et déjà décidé de prendre une année sabbatique dés la fin de ses études, avant de prendre un emploi au Ministère, ou dans une Organisation Sorcière Non-Gouvernementale. Ainsi, elle pourrait réaliser son rêve. Passer sa vie à voyager, pour le travail. Mais à côté de cela, elle renonçait à fonder une famille. A quoi bon avoir un mari si elle n’était jamais là ? D’accord, grâce au transplanage, on pouvait rentrer très vite à la maison… Mais entre le boulot et les réceptions, elle aurait à peine le temps de rentrer dormir chez elle. Alors pour ce qui est de satisfaire son mari… Quant aux enfants, même pas la peine d’y penser. Elle ne voulait pas répéter la faute de ses parents, faire un enfant et à peine s’en occuper, malgré tout le respect et l’admiration qu’elle éprouve pour eux. Elle sait qu’elle leur ressemble. Elle n’est pas malheureuse, mais ce n’était pas une véritable enfance… Elle se souvenait des après-midi pluvieux où elle s’ennuyait à mourir, jouant avec l’une des coûteuses poupées impeccablement habillées et coiffées dans sa chambre, ou encore, se prenant pour l’une des top-modèles de sa mère avec les habits que celle-ci avait fait faire sur mesure par sa propre maison de haute-couture.

Et dans ses rêves, Liliane avait une vraie famille. Elle se retrouvait petite fille, dans les bras de sa mère, tandis que son père lui racontait des histoires. Mais au réveil, la réalité revenait inexorablement et elle se rendait que ce qui s’était passé dans son rêve était réellement arrivé… A l’occasion d’une séance photo. Pitoyable, n’est-ce pas ? Elle était toute petite, et pour faire gonfler sa popularité dans les sondages, les conseillers de son père lui ont soufflé l’idée d’utiliser sa fille muette. La petite demoiselle était connue du grand public, mais on la voyait si rarement ! déploraient-ils. Et ni une, ni deux, ils avaient pris rendez-vous avec des photographes et ceux-ci étaient venus au manoir pour prendre des clichés de la parfaite petite famille qui a réussi socialement… La petite Liliane n’en avait pas cru ses yeux lorsque son père lui avait lu une histoire, et demander de lui apprendre quelques mots en langage des signes. Pourtant, elle avait rapidement déchanté en voyant les premiers flashs. Quelques semaines plus tard, son père était élu Ministre de la Magie. Elle comprenait ses parents, mais ce n’était pas pour cette raison qu’elle souffrait de leur indifférence. Ils l’aimaient, certes, mais à leur façon. Après tout, aussitôt Ministre, son géniteur avait appliqué sa promesse d’accorder un budget plus important à la recherche en médicomagie, notamment pour les handicaps. Les médicomages-chercheurs progressaient dans la connaissance, année après année, mais rien n’avait réellement changé pour Liliane.

Celle-ci allait d’ailleurs émerger de ses doux rêves, pour retrouver la réalité, pas toujours rose. On pourrait croire que « Princesse Liliane » qui était bien née, et gâtée aussi bien par la nature que par ses parents, avait tout pour être heureuse. Ca, c’était ce qu’on croyait. De toute façon, l’herbe du voisin semble toujours plus verte. La jalousie est tristement humaine, l’envie aussi. Liliane ouvrit les yeux, et se rendit compte qu’elle était seule dans le dortoir. Comme toujours. Vérifiant l’heure, elle se leva assez rapidement. Il ne lui restait plus beaucoup de temps pour déjeuner, et sa gouvernante allait la gronder. A moitié ensommeillée, elle se rendit dans la salle de bains et appliqua sa crème anti-acné sur son visage comme d’habitude. En fait, elle n’y réfléchissait même plus à force. Toujours dans le brouillard, elle mit sa robe de chambre et sortit de la chambre. Tiens, c’était bizarre. D’habitude, l’odeur du pain grillé la guidait jusqu’à la salle à manger. Pensant à un problème avec les elfes de maison, ou tout autre phénomène tout à fait explicable, Liliane descendit les marches, ses pieds nus et réchauffés par les draps réagissant à peine avec le contact de la pierre froide. Chez elle, le bois était toujours froid. Sans se rendre compte de rien, la jeune Française traversa la salle commune jusqu’au portrait, et ce fut là qu’elle se rendit compte de sa méprise. Il fallait avouer que les sifflements et les ricanements derrière elle l’avaient quelque peu réveillée. Lentement, le feu s’insinuant sournoisement dans ses joues, Liliane se retourna. Devant elle, assis dans les fauteuils devant la cheminée, des étudiants de Durmstrang la jaugeaient d’un air appréciateur, tandis que les autres présents dans la salle n’étaient pas en reste.

Elle s’en voulait de s’être laissé ainsi berner. Bien sûr qu’elle n’était pas à la maison ! Il n’y avait ni sa gouvernante, ni ses deux elfes de maison qui l’attendaient au bas des escaliers, mais seulement quelques élèves surpris par cette apparition. En même temps, combien d’idiotes descendaient en nuisette et en petite robe de chambre descendaient des escaliers le matin ? Un instant pétrifiée, elle se recomposa un sourire et se tint prête à assumer les remarques, comme si tout cela était parfaitement normal. Pas question de perdre la face. Même si sûrement personne n’était dupe… On lui avait appris à rester digne en tous instants. Evitant le regard de Viktor qu’elle savait posé sur elle, elle remarqua dans un coin de la pièce le seul garçon qui l’avait déjà vue dans une telle tenue, Lemmy Thompson. Après tout, il partageait leur dortoir, et elle allait trouver un prétexte pour y remonter grâce à lui. Histoire de ne pas trop avoir l’air de se défiler. Elle le rejoignit donc, ignorant les autres et s’installa à côté de lui sur la table. Prenant une plume et un parchemin qui traînaient par là, elle y griffonna en lettres rondes et nettes :

« Tu as oublié quelque chose dans le dortoir ? Je peux monter le chercher si tu veux… »

Bon d’accord, ce n’était pas très subtil, mais quand on vient de se réveiller, on n’a pas toujours les idées très claires, n’est-ce pas ?